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Toi qui viens d'Ethiopie...
4 septembre 2007

L’Ethiopie célèbre son (double) millénaire

par Bahru Zewde, Professeur émérite d’histoire à l’université d’Addis Abeba

Le 12 septembre, l'Ethiopie fête l'an 2000 (calendrier julien) et ses deux mille ans d'existence. C'est l'une des plus anciennes nations au monde et l'une des seules d'Afrique à avoir préservé sa souveraineté face à l'expansionnisme colonial européen au XIXème siècle. Pour Addis Abeba, cet anniversaire est l'occasion de souder un pays où paix et démocratie demeurent fragiles.

Septembre 2007 : l’Ethiopie célèbre son bimillénaire. C’est l’occasion de revenir sur une longue histoire, si particulière dans celle du continent africain. L’Ethiopie est l’une des seules nations d’Afrique à avoir conservé sa souveraineté pendant le démembrement du continent, au XIXe siècle. Elle est l’un des Etats fondateurs de l’Organisation des Nations unies (ONU).

L’Etat éthiopien a deux mille ans. Il trouve son origine au premier siècle de l’ère chrétienne dans le royaume d’Axoum, qui s’étendait du Soudan au Yémen actuel à travers la mer Rouge. Ce royaume avait deux visages, l’un préchrétien, immortalisé par d’élégants obélisques (dont l’un a récemment été rapatrié de Rome). L’autre est chrétien, et son héritage demeure encore présent aujourd’hui. Axoum symbolise en outre le principe monarchique, si essentiel dans l’histoire du pays jusqu’à son abolition, de manière brutale, lors de la révolution de 1974.

Il est intéressant de noter que les racines historiques de l’islam s’entremêlent avec celles de l’Ethiopie. En effet, c’est à Axoum que le prophète Mahomet et ses fidèles trouvèrent asile alors qu’ils fuyaient les persécutions des seigneurs de la tribu des Quraychites, qui dominait La Mecque à l’époque. Mais le développement de l’islam a aussi provoqué la ruine du royaume d’Axoum. En effet, l’expansion de la nouvelle foi sur les côtes de la Méditerranée a perturbé des routes commerciales vitales pour Axoum. Il en est résulté un étouffement progressif du royaume, jusqu’à entraîner sa disparition aux alentours du Xe siècle.

Après un intermède de quelque quatre siècles, un Etat d’assez petite taille émergea dans les régions montagneuses du centre de l’Ethiopie sous le nom de royaume Zagwé et succéda à Axoum. S’il était minuscule, ce royaume faisait preuve d’un grand dynamisme spirituel. C’est notamment à lui qu’on doit les célèbres églises taillées dans la pierre de Lalibela.

Florissant Moyen Age

La dynastie Zagwé fut elle-même remplacée par une autre, en 1270, lorsque commença le règne de Yekounno Amlak. Celle-ci revendiquait des origines « salomoniennes » [du roi Salomon, ndlr] et domina le pays pendant sept siècles. Elle atteignit son apogée lors de ce qu’il est convenu d’appeler le « Moyen Age éthiopien » (1270-1529). Par la suite, cette dynastie succomba sous les coups conjoints des Etats musulmans, jusqu’alors soumis, et du mouvement de masse des Oromos, venus du sud.

Cet effondrement n’a pas signifié celui d’une culture et d’une civilisation. Se recentrant sur la ville de Gondar, au nord, l’Etat tronqué a donné naissance à une vie urbaine animée et s’est caractérisé par la construction d’églises, de châteaux, ainsi que par un style artistique spécifique et un commerce florissant. Néanmoins, la monarchie n’était plus que l’ombre de ce qu’elle avait été lors de son passé médiéval. Durant trois quarts de siècle (1780-1855), ce qu’on a appelé Zamana-Mesafent (l’ère des princes) vit le pouvoir transféré de fait aux seigneurs locaux, tandis que le Négus (le « roi des rois », l’empereur) n’était plus qu’une figure fantomatique.

Pendant ce temps, au sud du pays, une série de monarchies oromos émergea à côté des anciens royaumes omotiques de Kafa et Walayta. C’est la fusion de ces entités qui donna naissance à l’Ethiopie moderne dans le dernier quart du xixe siècle.

La renaissance de l’Etat chrétien éthiopien coïncide avec le regain d’intérêt des Européens pour l’Afrique au xixe siècle et les ambitions expansionnistes d’une Egypte revigorée sous la direction de Méhémet-Ali et de ses successeurs. Cette double pression a orienté le règne des premiers empereurs modernes du pays : Théodoros II (1855-1868), Yohannès IV (1872-1889) et Ménélik II (1889-1913). Les deux premiers périrent en affrontant l’Egypte. En revanche, en 1896, à la bataille d’Adoua, le dernier parvint à triompher des troupes italiennes, faisant de l’Ethiopie le seul Etat africain ayant déjoué la domination coloniale. Ménélik introduisit aussi les éléments de base d’un Etat moderne : des télécommunications, une banque, une école, un hôpital, ainsi que le premier hôtel. Ces innovations ont été poursuivies sous l’empereur Hailé Sélassié, dont le règne est le plus long de l’histoire de l’Ethiopie moderne, coupé en deux périodes (1930-1935 et 1941-1974) par les cinq années pendant lesquelles l’Italie fasciste occupa le pays.

Cependant le règne de Hailé Sélassié marque à la fois l’apogée de la monarchie salomonienne et sa fin. La longévité politique s’est révélée fatale à l’empereur et à sa dynastie. L’homme, qui avait commencé par être un prince réformiste, finit par devenir un obstacle au progrès politique et social.

C’est à ce prince que l’Ethiopie doit la plupart des traits distinctifs de la modernité : l’éducation pour tous, la création d’une armée moderne et des rudiments d’infrastructures, notamment le succès d’Ethiopian Airlines. Mais Hailé Sélassié avait aussi ses côtés négatifs. Parmi les principaux, son incapacité à mettre en place une monarchie constitutionnelle et à lancer ne serait-ce qu’un semblant de réforme agraire. Des décennies de révoltes paysannes, de rébellions régionales et de manifestations étudiantes trouvèrent leur point d’aboutissement dans la révolution de 1974. Malheureusement, cette révolution qui portait tant d’espoir et de promesses, notamment la proclamation de la plus radicale réforme agraire du monde, déboucha sur une dictature.

En 1991, pourtant, le régime de Mengistu Hailé Mariam, qui semblait inexpugnable, succomba devant le Front populaire de libération de l’Erythrée (FPLE) et le Front démocratique révolutionnaire du peuple éthiopien (FDRPE). Le premier obtint l’indépendance de l’Erythrée ; le second inaugura un nouveau chapitre de fédéralisme ethnique en Ethiopie. Mais une décennie s’était à peine écoulée que les deux alliés d’antan se brouillaient et plongeaient la région dans l’une des guerres les plus dévastatrices de l’histoire récente.

La guerre de deux ans (1998-2000) fit près de cent mille morts des deux côtés. Malgré un traité de paix patronné par les Nations unies, l’Union africaine et les Etats-Unis, et la mise en place d’une commission internationale chargée de gérer la question frontalière, la situation demeurait dans l’impasse, portant en germe un nouveau cycle de conflits.

Vers la démocratie ?

En 2005, le pays sembla franchir une nouvelle étape vers la démocratie avec l’élection législative la plus libre – et la plus contestée – de son histoire. Mais l’espoir tourna court quand le pouvoir réprima l’opposition et emprisonna ses dirigeants. Leur récente libération pourrait marquer une évolution positive. La question de savoir si le prochain millénaire sera différent du précédent dépend de ce retour à la normalité.

Source : Le Monde diplomatique, septembre 2007

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