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Toi qui viens d'Ethiopie...
16 décembre 2005

Ethiopie-Erythrée : L’ONU cède à l’ultimatum pour maintenir le dialogue

par Laurent Correau

C’est aujourd’hui que prend effet l’ultimatum lancé le 6 décembre dernier par les autorités érythréennes à la MINUEE. Dès hier, la mission de l’ONU a devancé l’ordre d’expulsion en redéployant vers l’Ethiopie une partie des personnels concernés par la mesure. Ces départs font suite à une série de restrictions imposées par les Erythréens depuis octobre. Autant que l’intransigeance d’Asmara, ils viennent refléter l’échec de la communauté internationale à accompagner jusqu’à son terme le processus de paix lancé il y a cinq ans avec l’accord d’Alger.

Le grand écart diplomatique est particulièrement périlleux dans le cas présent. Mais plutôt que de couper les ponts avec l’Erythrée, l’ONU s’y livre de bonne grâce: «Les Nations unies ne se sont pas pliées à l’ultimatum de l’Erythrée. Les Nations unies au contraire sont en train de prendre des positions pour ne pas avoir à céder à quelque chantage que ce soit.» a déclaré jeudi soir à RFI Jean-Marie Guéhenno, le secrétaire général adjoint chargé des opérations de maintien de la paix. Et pour bien prouver que l’ONU ne cède à aucune pression, le Conseil de sécurité dit qu’il a décidé de redéployer temporairement ses personnels «pour des raisons de sécurité». L’ONU a bien veillé à ce que les nationalités des personnels redéployés aillent au-delà de celles concernées par la mesure d’expulsion.

Les Nations unies ont pourtant bel et bien choisi de plier, en dépit des affronts de ces derniers jours. Deux hauts responsables de New York qui font le déplacement à Asmara (et qui ne sont pas reçus par les autorités érythréennes), une déclaration du président du Conseil de sécurité jetée au panier par les Erythréens, et un Etat membre des Nations unies qui prétend choisir la nationalité des observateurs de l’ONU susceptibles de rester sur son territoire: «Depuis que je suis responsable des opérations de maintien de la paix, je n’ai jamais vu de situation de ce type. C’est une position totalement inacceptable pour nous», indique Jean-Marie Guéhenno.

Une série de restrictions

L’ultimatum lancé le 6 décembre dernier n’est que le dernier épisode en date d’une série de restrictions imposées par l’Erythrée à la mission des Nations unies. Celles-ci ont commencé le 4 octobre, avec une interdiction de survol des hélicoptères de l’ONU. Elles se sont poursuivies par des restrictions sur les patrouilles au sol : limitation aux routes principales, interdiction des patrouilles de nuit. Le Conseil de sécurité de l’ONU a protesté contre ces restrictions dans sa résolution 1640 du 23 novembre 2005, sans succès.

Les restrictions n’égratignent pas que l’amour propre de l’ONU, elles affaiblissent sa capacité sur le terrain. La première semaine de décembre, la MINUEE était encore capable d’effectuer 754 patrouilles dans sa zone de responsabilité… ou de distribuer quelque 117 000 litres d’eau aux populations de la zone temporaire de sécurité. Mais les mesures de restrictions limitent progressivement son champ de vision. Juste après l’interdiction de survol des hélicoptères début octobre, le responsable militaire de la MINUEE, le Major général Rajender Singh expliquait que la force allait perdre entre 40 et 50% de sa capacité d’observation. «Nous devons surveiller une frontière de 1 100 kilomètres de longueur. (…) Notre surveillance et notre suivi de la frontière reposent dans une large mesure sur la surveillance aérienne. Nous menions à bien cinq à six patrouilles aériennes par jour, nous ne pourrons plus le faire désormais.» Le même Rajender Singh estime que la mesure d’expulsion décidée par Asmara va réduire de moitié le nombre d’observateurs militaires (91 observateurs sur 210 actifs).

Intransigeance érythréenne

Pourquoi gêner ainsi la capacité d’observation de la mission ? L’Erythrée se prépare-t-elle à une nouvelle guerre ? C’est la thèse d’Addis Abeba. C’est la version que défendait en tout cas le colonel Getnet de l’armée éthiopienne, alors qu’il faisait visiter il y a quelques semaines les toutes nouvelles tranchées creusées près de Zalembesa. «Elle se fait appeler milice, mais l’armée érythréenne est déjà très proche d’ici. Elle se regroupe, elle se prépare pour la guerre», confiait-il alors (voir ci-contre: «Dans le Tigré, le spectre de la guerre»). La MINUEE, elle, tient un discours plus apaisant: «Nous ne pensons pas que les Erythréens ont introduit dans la zone temporaire de sécurité des armements lourds», déclarait jeudi Jean-Marie Guéhenno, selon qui la mission est toujours en état de déceler d’éventuels préparatifs de conflits.

Si l’Erythrée ne prépare pas la guerre (pour l’instant du moins), quelles peuvent être ses intentions ? Manifester son exaspération sur la question frontalière. Et tenter de faire pression sur la communauté internationale. La frontière avait été l’une des raisons de la guerre en 98… Quand le 12 décembre 2000 l’Ethiopie et l’Erythrée ont signé l’accord de paix d’Alger, les deux pays ont accepté de se soumettre à l’arbitrage d’une commission frontalière internationale. La décision est tombée le 13 avril 2002. Elle a officiellement été rejetée par l’Ethiopie le 19 septembre 2003. Depuis, l’Erythrée réclame son application. Et ne bouge pas d’un iota d’une position simple: remettre en cause un arbitrage dont le principe a été accepté au préalable constituerait un dangereux précédent pour le droit international. En 2004, Asmara a refusé à plusieurs reprises de discuter avec Lloyd Axworthy, nommé envoyé spécial du secrétaire général de l’ONU. Le 4 février 2004, le président Erythréen, Issaïas Afeworki écrit à Kofi Annan: «Nous ne pouvons pas nous engager dans un nouveau processus ou mécanisme sur la base de la diplomatie de l’envoyé spécial.» Fin 2004, le Premier ministre éthiopien Meles Zenawi indique qu’il accepte «le principe» de la décision frontalière. Sous-entendu: un dialogue sera nécessaire pour des ajustements. Les Erythréens rejettent cette nouvelle proposition de la même manière. Exaspérés par l’absence de mouvement de la communauté internationale, qu’ils accusent de favoriser l’Ethiopie, ils s’en prennent maintenant à l’ONU.

A New York, le message a bien été reçu. La résolution 1640 ne s’en prend pas qu’à l’Erythrée, elle demande aussi à l’Ethiopie d’accepter «pleinement et sans délai supplémentaire la décision finale et contraignante de la commission frontalière Ethiopie-Erythrée, et qu’elle prenne immédiatement les dispositions concrètes afin de permettre à la commission de démarquer pleinement et promptement la frontière». Cela n’a apparemment pas suffi aux Erythréens. La déclaration du Conseil de sécurité, il y a deux jours, soulignait de la même façon la nécessité et l’urgence de faire avancer la démarcation de la frontière. Sans réaction d’Asmara. La communauté internationale aurait-elle perdu une bonne partie de son crédit vis-à-vis des autorités érythréennes ? Dans l’interview qu’il a accordée à RFI, Jean-Marie Guéhenno ose un mea culpa collectif: «Si on n’a pas fait davantage de progrès [depuis 2000 NdlR], c’est peut-être qu’effectivement il n’y a pas eu assez d’engagement de la communauté internationale. Je crois que dans une affaire comme celle-là, le drame c’est qu’il y a tellement de conflits qui sont des préoccupations immédiates que c’est très difficile pour la communauté internationale de faire les actions préventives nécessaires. (…) trop souvent, la communauté internationale agit à chaud, alors qu’il faudrait agir bien avant que les choses n’en viennent au point où elles sont aujourd’hui entre l’Ethiopie et l’Erythrée.»

Source : RFI actualité, 16 décembre 2005

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