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Toi qui viens d'Ethiopie...
30 novembre 2002

Le christianisme éthiopien

par Stéphane Ancel, historien

1959 représente une date clef dans l'histoire de l'Église éthiopienne. En effet, l'Éthiopie fut un simple diocèse rattaché au patriarcat d'Alexandrie jusqu'à cette date et donc, théoriquement, l'Église éthiopienne à proprement parler n'existait pas. Les autorités ecclésiastiques du pays n'étaient supposées être qu'un appendice de l'Église copte, se référant aux mêmes textes, présentant le même vChrist_sur_drapeau__thiopienisage et les mêmes réalités religieuses que son aînée. Le seul évêque de l'Éthiopie était un Égyptien nommé par le patriarche d'Alexandrie et envoyé dans le pays afin d'assurer son rôle de transmetteur du sacré : il ordonnait les prêtres éthiopiens et il sacrait le négus, l'empereur d'Éthiopie. Théoriquement donc, le clergé éthiopien représentait l'Église copte dans ce lointain diocèse sans avoir une existence propre. La réalité historique et religieuse était tout à fait différente. Du fait de son éloignement des autres pays chrétiens du Proche Orient et de son isolement dû à la poussée musulmane, l'Éthiopie développa un christianisme original, nourri par sa propre histoire. Ce particularisme éthiopien sur le plan religieux prit toute son ampleur lors de la décision du Patriarcat d'Alexandrie en 1959, sur les demandes répétées des autorités ecclésiastiques éthiopiennes depuis plus d'un siècle, d'accorder le droit à l'Éthiopie d'élire son propre patriarche et ainsi d'accéder à l'autocéphalie, autrement dit à l'indépendance religieuse. L'histoire de cette dynamique Église éthiopienne, retracée pour nous par Stéphane Ancel, chercheur à l'INALCO et au Centre français des études éthiopiennes, sera la meilleure introduction à la visite de ses grands ensembles religieux, dont le fleuron reste Lalibela.

L'évangélisation du royaume d'Axoum

L'histoire chrétienne de l'Éthiopie commença au IVe siècle de notre ère. Ceci fut d'autant plus remarquable que l'Éthiopie fut le seul État chrétien souverain qui ait perduré en Afrique depuis les premiers siècles du christianisme jusqu'à nos jours. Le royaume d'Axoum – correspondant à la partie septentrionale de l'Éthiopie actuelle et de l'Érythrée – et son souverain, Ezana, se convertit au christianisme au milieu de ce siècle. Un Syrien, Frumentius, initiateur de cette conversion, informa le patriarche d'Alexandrie Athanase Ier (326-373) de l'existence d'une communauté chrétienne en Éthiopie. Ce dernier le nomma évêque de la nouvelle communauté et Frumentius rejoignit son nouveau diocèse. Dès lors, chaque nouvel évêque d'Éthiopie fut choisi parmi les moines égyptiens. L'Éthiopie embrassa les thèses christologiques du patriarcat copte, le monophysisme, thèses développées contre celles du concile de Chalcédoine de 451, et constitua son héritage en copiant en langue locale, le guèze, les principaux textes religieux coptes et syriaques, comme la Règle monastique de saint Pacôme, la Vie de saint Antoine de saint Athanase ou encore le Qerlos de saint Cyrille. Le monachisme s'y développa et nous datons de cette période les plus anciennes églises d'Éthiopie au nord du pays.

La tradition hagiographique attribua la première vague d'évangélisation du pays, l'institution des premiers monastères ainsi que la construction des premières églises, à neuf saints venus en Éthiopie entre le VIe et IVe siècle. Ces moines missionnaires furent présentés comme originaires de l'Empire byzantin, même s'il convient maintenant de penser que nombre d'entre eux venaient vraisemblablement de Palestine et d'Égypte. Selon la légende, l'un d'eux, Za Mikâ'él ‘Aragâwi se rendit à Dabra Damo, au nord-est de la ville d'Axoum. Un serpent était adoré dans un sanctuaire situé en haut d'un amba – un plateau entouré de falaise. Le saint aurait ainsi pénétré dans le sanctuaire en gravissant les falaises en se servant de la queue du serpent et y aurait fondé le monastère qui existe encore de nos jours.

La période axoumite de l'Éthiopie vit l'apparition et la fixation de la musique religieuse, particulière au pays. Un prêtre du VIe siècle, saint Yared, fixa les grands principes des chants religieux utilisés encore de nos jours dans les offices de l'Église éthiopienne. Ce dernier établit un corpus de chants et inventa un système totalement original de notation afin de fixer par écrit la musique et ses variantes. Ces textes restent aujourd'hui à la base des chants religieux utilisés en Éthiopie. Les prêtres et les däbtära, les chantres éthiopiens, exécutent ces chants debout, instaurant de longues mélopées avec leurs voix, les accompagnant de mouvement du corps. Chacun d'eux possède un bâton de prière, le meqwâmiya, et un sistre leurs permettant de frapper la mesure. Seul un tambour, le qabaro, complète l'accompagnement des chants lors des fêtes et de la messe.

De Lalibela à Ménélik

L'islamisation d'une grande partie du Proche et du Moyen-Orient coupa l'Éthiopie du reste de la chrétienté. Le royaume d'Axoum connu un repli et un effritement progressif. Mais cela n'empêcha pas l'Église éthiopienne de se développer. Le centre de gravité de l'Éthiopie chrétienne se déplaça vers le sud, autour des provinces actuelles du Lasta et du Wollo, plus à l'intérieur du pays. Entre le XIIe et XIIIe siècle, une dynastie connue sous le nom des Zâgwé s'imposa comme la représentante du pouvoir central. Durant cette période, l'Église éthiopienne vit l'une de ses plus belles œuvres monumentales prendre forme. Le roi Lalibela (1190-1225 environ) fonda une seconde Jérusalem qui porte son nom. Aujourd'hui encore, nous pouvons admirer cet ensemble monumental d'églises monolithes, creusées à même la roche. Permettant de remplacer le pèlerinage à Jérusalem, la visite du site offrait au pèlerin la possibilité d'admirer une représentation de la topographie de la ville sainte.

L'instauration d'une nouvelle dynastie dans la deuxième moitié du XIIIe siècle amena un nouveau stade dans le développement du rapport aigu entre le pouvoir séculier et l'Église. La dynastie des Salomoniens développa à travers un texte rédigé au XIVe siècle l'idée d'un pouvoir politique et religieux dans lequel l'empereur était autant un chef séculier que religieux. Ce texte, intitulé Kebra Nagast ou « La Gloire des rois » s'inspira de la rencontre mythique entre la reine de Saba et Salomon, roi d'Israël. De leur union charnelle naquit Ménélik qui, désirant rencontrer son père, vint à son tour en Israël. Il y rencontra son géniteur qui lui permit de prendre avec lui pour retourner en Éthiopie tous les premiers-nés d'Israël. Ménélik réussi à dérober avant de partir l'arche de l'Alliance et l'emmena également avec lui. L'arche de l'Alliance est aujourd'hui toujours considérée par l'Église éthiopienne être en sa possession. Elle est censée être dans l'église de Sion, à Axoum, aucune personne n'étant habilitée à la voir, excepté le patriarche et, à l'époque, l'empereur. Les Éthiopiens furent ainsi présentés comme un peuple trois fois élu : par le sang, étant issu des premiers-nés d'Israël, par l'ancienne alliance, l'Éthiopie possédant l'arche de l'Alliance et par la nouvelle alliance, le peuple ayant reconnu le Christ. La dynastie salomonienne qui s'éteignit avec Hailé Séllassié (1930-1974) se présenta comme une dynastie au-dessus des autres et instaura une véritable théocratie.

Grandes figures monastiques

Les relations avec le Patriarcat d'Alexandrie furent maintenues. L'empereur devait envoyer une ambassade à travers les sultanats qui entouraient l'Éthiopie chercher un nouvel évêque. Le futur évêque emportait avec lui des traductions de textes coptes en guèze, enrichissant ainsi le patrimoine de l'Église éthiopienne. Toutefois, le rôle du métropolite resta très réduit. La gestion de Église fut concurrencée le plus souvent par les mouvements monastiques qui se développèrent à cette époque.

Le monachisme connut un élan sans précédent. De grandes figures monastiques telles que Takla Haymanot (1215-1313), fondateur de l'un des monastères les plus influents, le monastère de Dabra Libanos ou encore de Ewostâtewos (1273-1352) s'imposèrent. Ce dernier fut le fondateur d'un mouvement reconnaissant les deux sabbats, celui du samedi et celui du dimanche. Longtemps considéré comme hérétique, ce mouvement fut reconnu orthodoxe par l'empereur Zar'a Yâ'eqob (1434-1468) malgré l'opposition du Patriarcat d'Alexandrie.

L'empereur Zar'a Yâ'eqob fit figure de réformateur de Église et pris une place importante dans l'histoire de l'Éthiopie. Théologien, il passe pour être l'auteur de nombreux ouvrages faisant encore partie des canons éthiopiens. Il réforma le culte de la Vierge, ce qui marqua profondément le christianisme éthiopien. Il recommanda à ses sujets de marquer leur attachement au christianisme par le port d'une croix en pendentif. Aujourd'hui encore, les chrétiens d'Éthiopie portent le mateb, une petite croix qui leur est donnée le jour de leur baptême et qui reste la marque de la distinction entre les chrétiens et les musulmans.

Les controverses avec les jésuites et l'expulsion des Européens

Au XVIe siècle, une série d'événements ébranlèrent profondément le royaume. Depuis le XIVe siècle, le royaume chrétien d'Éthiopie affrontait les sultanats avoisinant le pays pour le contrôle des voies commerciales vers la mer Rouge. De 1525 à 1543, l'imam Ahmad Ibn-Ibrahim, dit « le gaucher », connu en Éthiopie sous le nom de Gragne, entreprit une série de razzias dans les régions chrétiennes, dévasta le pays, brûla de nombreux monastères et finit par prendre le contrôle d'une grande partie du royaume. Les défaites successives des troupes éthiopiennes entraînèrent le négus à faire appel aux occidentaux, avec qui il y avait eu quelques contacts au XVe siècle. Les Européens, nourris de la légende du prêtre Jean et désireux de prendre à revers le monde musulman, envoyèrent un corps expéditionnaire qui mis en déroute l'armée de Gragne en 1549 et libéra ainsi l'Éthiopie chrétienne.

Cette époque marqua l'arrivée des Jésuites en Éthiopie. Leur présence provoqua de nombreuses controverses religieuses entre les prêtres éthiopiens et les catholiques. Cette confrontation déboucha finalement en 1632 sur l'expulsion d'Éthiopie des Européens après qu'ils eussent tenté de rallier l'empereur à la foi catholique. Du XVIIe au XIXe siècle, le christianisme connu une grande vitalité, les écrits motivées par les querelles théologiques fleurirent, l'art se développa, notamment à Gondar, capitale de la monarchie. Cette période vit se généraliser les églises rondes, comprenant un déambulatoire extérieur sur ses flans. Les Éthiopiens abandonnaient ainsi les églises octogonales plus anciennes.

Un christianisme original

La surprise des Européens fut très grande de trouver en Éthiopie un christianisme totalement original. Encore aujourd'hui, le christianisme surprend par de nombreux aspects. Certains principes édictés par l'Ancien Testament sont scrupuleusement observés, comme la circoncision pratiquée sur les jeunes garçons huit jours après la naissance, les interdits alimentaires et l'observance du sabbat du samedi. Les églises accueillent leurs fidèles dans le jardin qui entoure l'édifice, ne permettant qu'aux personnes ayant fait pénitence d'entrer et de recevoir la communion. En raison de ces restrictions à l'entrée des églises, peu de fidèles communient dans leur vie, mis à part les jeunes enfants et les personnes âgées. Cette dévotion extrême envers l'Eucharistie explique également que peu de personnes se marient religieusement, la cérémonie incluant une communion qui interdit tout divorce et demande une préparation préalable.

Après le départ des Européens, l'Église éthiopienne connut une période marquée par des luttes internes concernant la christologie. Différents mouvements hérétiques se développèrent et envenimèrent les luttes de pouvoir entre les grands personnages de l'aristocratie éthiopienne. Cette situation ne se régla qu'en 1878, lorsque le négus Yohannès IV (1872-1889) convoqua un concile qui permis d'arriver à un compromis entre les parties.

De l'expansion à l'autocéphalie : une Église dynamique

Le règne de Ménélik II (1889-1913) fut un véritable tournant dans l'histoire du pays. Le souverain établit à peu de chose près les frontières actuelles de l'Éthiopie par une politique de conquête sans précédent. L'Église éthiopienne se trouva donc dans une position d'expansion. Chaque conquête lui donna de nouvelles zones de prosélytisme. Les limites de l'influence du christianisme se trouvèrent ainsi largement augmentées, même s'il est vrai que cela ne constitua pas une grande vague de conversion des populations. Pour une large part, ceci concerna les élites qui voulaient se faire une place au sein du nouvel édifice étatique éthiopien en se convertissant à la religion du conquérant.

En 1926 mourut l'évêque métropolite de l'Église éthiopienne Mattéwos. Le régent de l'Éthiopie, le ras Täfäri – le futur Haylä Sellassié, qui sera sacré en 1930 – demanda au Patriarcat d'envoyer des évêques égyptiens en Éthiopie sacrer des évêques éthiopiens. Après de longues négociations, un accord fut trouvé en 1929 entre les deux parties : Qérellos, un évêque métropolite égyptien fut nommé par le Patriarcat, ce qui ne remettait pas en cause la plénitude de l'autorité de l'Église copte sur l'Église éthiopienne. Toutefois, le métropolite fut chargé de sacrer cinq évêques éthiopiens.

En 1948, l'empereur Haylä Sellassié obtint du Patriarcat d'Alexandrie qu'à la mort de Qérellos le nouveau métropolite soit un évêque éthiopien. Qérellos mourut en 1950 et ainsi, en 1951, au Caire, le patriarche Ysab II intronisa l'abunä Baseloys au rang de métropolite d'Éthiopie. Ayant obtenu une hiérarchie complète, Église éthiopienne put demander l'autocéphalie et y accéder en 1959.

La révolution de 1974 abattit le pouvoir impérial en Éthiopie. Le nouveau régime décréta la séparation de l'Église et de l'État. Partie intégrante de l'ancien régime, l'Église se vit confisquer ses grandes propriétés foncières et toutes ses ressources. Néanmoins, la période de la révolution et de la junte militaire qui suivit fut considérée par les autorités ecclésiastiques éthiopiennes comme une ère de renaissance religieuse. Pour beaucoup, l'Église représentait une alternative au pouvoir militaire, et ce malgré les compromissions de ses plus hauts dignitaires avec le régime. L'Église vit la fréquentation de ses églises et les dons personnels augmenter. La religiosité de la population traditionnellement chrétienne connut alors une recrudescence non négligeable. Depuis la chute de la junte militaire en 1991, le patriarche actuel, abunä Pawlos tente de resserrer les liens entre les autorités ecclésiastiques et les simples fidèles. En codifiant et en généralisant la participations des fidèles à la vie de leur paroisse et ainsi aux grandes orientations de l'Église, le patriarcat offre à l'institution un poids politique et religieux important dans l'Éthiopie multiconfessionnelle d'aujourd'hui.

Source : Clio.fr, Novembre 2002 

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