Le Lac Tana
Le lac est situé à 1840 m
d'altitude; il a une longueur de 85 km
du nord au sud et une largeur de 65 km
d'ouest en est (3630 km2 de superficie) et 14 m de
profondeur en moyenne. Il compte trente îles et trente-huit monastères, dont
certains - Tana Qirqos, Kebran Gabriel, Dega Estifanos - sont fermés aux
femmes, ainsi que 60 affluents. Le plus célèbre d'entre eux est le petit Abbai,
également appelé le petit Nil bleu, qui prend sa source à 2900 m
Le lac Tana est d'origine volcanique et de nombreuses
éruptions ont probablement modifié son niveau au cours des millénaires. Des
terrasses lacustres situées à une centaine de mètres au-dessus du niveau actuel
du lac témoignent de ces changements.
Le lac, déjà connu par Ptolémée qui le nomma Choloe palus
(«marais creux») recèle des signes évidents - bétyles à section carrée à
Dega Estifanos et stèles anthropomorphes - de fréquentation ancienne,
probablement axoumite. Il devient le centre politique de l'Ethiopie à la fin du
13e siècle lors du retour au pouvoir de la dynastie salomonide,
après la chute de la famille Zagoué.
Le plus célèbre de ces empereurs salomonides fut Amda Syôn Ier
(1314-1344), petit-fils de Yékouno Amlak. Les trente ans de son règne furent
très importants pour l'édification du royaume chrétien sur les plateaux et
jusqu'aux rivages de la mer Rouge. Grand, fort, poète et mécène, il remplit les
annales éthiopiennes de ses gestes et passa à l'histoire comme une sorte de
Richard Cœur-de-Lion éthiopien. Les sultans devinrent ses vassaux et durent lui
payer un tribut en étoffes, soie et lin. Le christianisme fut déclaré religion
d'Etat. On assista à la fondation de nombreux monastères sur le lac Tana et
dans les régions avoisinantes. Amda Syôn fut le vrai protagoniste du 14e
siècle et le véritable fondateur de la nation éthiopienne.
LE CAP DE MENDABBA
Le cap, ainsi que la
petite baie adjacente (accès interdit aux femmes), sont situés à 25 min de
bateau au nord de Gorgora. On y trouve l'église-monastère de Medhane Alem. Les
moines vivent dans des toukouls plantés au sommet de la colline.
L'église a été fondée par le fils d'Amda Syôn, Abba Assay, qui arriva sur les
lieux en traversant le lac à l'aide d'une grosse pierre flottant miraculeusement.
Les habitants de l'île stupéfaits s'exclamèrent en le voyant : «Qui d'autre
peut être comme lui?» (en langue locale Man in dabba). D'où le nom de
l'île.
ILE DE SELASSIE
Située dans la partie nord du lac à une heure environ de
bateau de Gorgora, l'île est connue pour une vaste grotte qui aurait été
taillée, selon la légende, par Lalibela. A l'intérieur de cette grotte, un
saint moine aurait par la suite construit deux églises, une pour les femmes et
une pour les hommes, dont il reste quelques ruines.
ILE DE DEK
Du port de Bahar Dar un bateau à moteur permet d'atteindre
en deux heures l'île de Dek, située à mi-chemin entre Bahar Dar et Gorgora, au
milieu du lac, à une trentaine de kilomètres de Bahar Dar. L'île quasi
circulaire, d'un diamètre de 5 km, est recouverte de végétation
et de cultures de tef et de café. Les produits de l'île, mangues, papayes,
bananes et café, sont transportés par les habitants (un millier de personnes
environ) jusqu'au marché de Bahar Dar sur des tankwa, petites pirogues
en papyrus. Avec le produit de leurs ventes, ils achètent des objets et denrées
de consommation courante et, entre autres, des vaches, que l'on amène dans
l'île à bord de grandes tankwa destinées spécialement à ce transport. La
construction d'une tankwa exige le travail de deux personnes durant une
journée entière. En cas de pluie ou par mauvais temps, ces embarcations qui
normalement ont une durée de vie de quelques semaines sont utilisables quelques
jours seulement.
A l'extrémité ouest de l'île, l'îlot de Narga est habité
uniquement par des prêtres. Du débarcadère, un petit chemin conduit à la
superbe église de Narga Sélassié, église impériale de type gondarin, dédiée à la Trinité. La légende raconte que le site fut
choisi par la reine Mentwab, mère de Iyasou II (règne: 1730-1755). On raconte
que la reine qui venait de Gondar avec sa suite portant le tabot, fatiguée
du voyage, s'assoupit au pied d'un grand arbre. Dans un rêve, elle reçut de
Dieu l'ordre de construire l'église à cet endroit et à son réveil elle
s'exclama Narga! qui veut dire «construisons». Les matériaux nécessaires
à la construction de l'église, blocs de basalte et chaux, furent apportés de
Gondar. La porte fut taillée dans le tronc de l'arbre sous lequel la reine
avait eu son rêve. L'église représente un des plus beaux exemples
d'architecture éthiopienne à plan circulaire. Elle est entourée d'une grande
enceinte, renforcée par des tours carrées surmontées d'une coupole en pur style
gondarin. A l'intérieur, les quatre parois du Maqdas sont décorées de
magnifiques peintures.
La paroi ouest sur laquelle ouvre la porte principale reprend le thème del a Rédemption. On y trouve représentés : l'Annonciation, la Nativité, le Baptême de Jésus, le Mont des Oliviers, la Passion du Christ (capture, flagellation et crucifixion), ainsi que saint Georges et une magnifique Vierge à l'Enfant, au pied de laquelle on retrouve, couchée, la reine Mentwab. A gauche de la porte est représenté l'Archange Mikaël qui libère une âme du pouvoir du démon. Au centre, sur le battant gauche, le passage de la mer Rouge avec Moïse ouvrant les eaux et l'armée du pharaon qui périt misérablement. En haut, sur le battant de droite, le Cantique des femmes israélites, en bas, Aaron et les Hébreux. A droite de la porte, l'église construite sur le dos d'un monstre marin, l'archange Raphaël qui le transperce de sa lance pour l'empêcher de faire tomber l'église dans les flots. Sur le tambour sont représentées les trois personnes de la Trinité, encadrées par les quatre animaux célestes. Au pied de la Trinité, Adam et Eve, séparés par l'arbre de vie. A droite et à gauche de la Trinité, les vingt-quatre prêtres célestes de l'apocalypse, avec leur encensoir.
Sur l'île, a 1 km du village de Gadnà, est située l'église de Kota Maryam fondée au temps de l'empereur Lebna Denghel par l'Abouna Hirute Amlak. originaire du Choa, et destinée à un monastère pour femmes, à proximité du monastère de Déga Estifanos, sur l'île voisine, qui avait été réservé, lui, aux hommes. Les dons des rois de Gondar, en particulier ceux de Fasilades, ont contribué à enrichir l'église. Elle est aujourd'hui ouverte aux hommes et aux femmes.
Une troisième église mérite la visite. Il s'agit de l'église
d'Arsima, située à proximité du village du même nom. Cette petite et
merveilleuse église-paillote serait, par son ancienneté, la deuxième église de
l'île. Elle possède un trésor intéressant constitué d'anciens manuscrits, dont
un tétra évangile.
ILOT DE DEGA ESTIFANOS
A l'est de l'île de Dek, un îlot formé par un cône volcanique haut de 90 m marque le milieu du lac. Cette île, interdite aux femmes, porte le nom de Déga Estifanos, du nom de la célèbre église-monastère, une des plus importantes du lac, autour de laquelle vit encore aujourd'hui une communauté comptant de nombreux moines. L'église, de forme rectangulaire, fut restaurée par l'empereur Yohannes IV au milieu du 19e siècle. Quelques peintures sur les parois du maqdas datent encore de l'époque de sa fondation (16e s.). Une cabane abrite, dans des sarcophages en verre offerts par l'empereur Hailé Sélassié, les momies de quelques-uns parmi les plus importants empereurs de la deuxième dynastie salomonide: Zahra Yaqob, Davit Ier, Susenyos et Fasilades.
PENINSULE DE ZEGHÈ
Située à une quinzaine de kilomètres de Bahar Dar, la péninsule de Zeghè est entièrement recouverte d'une végétation très dense. En plus des importantes plantations de caféiers, on trouve de grands arbres portant le nom de l'explorateur Bruce, l'Erythrine brucei, ainsi que des genévriers géants et de magnifiques sycomores. Au cœur de cette végétation luxuriante se dissimulent sept églises et de nombreux villages.
L'église d'Uhra Kidane Mehret est la plus facile à visiter au départ de Bahar Dar. On l'atteint par un joli chemin dans la forêt (15 minutes à pied des rives du lac). De nombreux prêtres et quelques hommes armés de mousquetons et de baïonnettes gardent le site contre les éventuels voleurs qui tenteraient de s'emparer des objets sacrés et des anciens manuscrits gardés jalousement dans l'église.
ILE DE TANA KIRKOS
L'île, allongée, s'étire parallèlement au rivage dans la
partie occidentale du lac. Il fut un temps où son église était la plus
importante du lac. Les prêtres prétendent qu'elle fut fondée par Abreha et
Atsbeha (4e siècle), alors que l'expansion du christianisme semble
en réalité avoir atteint la région du lac seulement mille ans plus tard. C'est
ici que, selon la tradition, l'Arche d'Alliance a été gardée pendant plus de
six siècles, avant d'être transportée à Axoum. La Sainte Famille
aussi aurait séjourné dans cette île trois mois et dix jours, lors de la fuite
en Egypte.
Les habitations des moines sont adossées à une grande lame
de basalte (un dyke) qui parcourt l'île. L'église, de forme rectangulaire, est
bâtie en pierre. Il s'agit de pierres taillées de grande taille, qui pourraient
provenir d'un édifice beaucoup plus ancien. Les prêtres montrent volontiers
l'endroit où était entreposée l'Arche, ainsi que la pierre sur laquelle,
d'après la tradition, la Sainte Vierge
avait l'habitude de s'asseoir. Le site est marqué par deux bétyles qui
présentent chacun un trou, surmontés d'un bloc de basalte carré, parfaitement
taillé et portant en son milieu une cavité de la même forme.
ILE DE KEBRAN
En retournant en bateau vers Bahar Dar, on dépasse l'île de Kebran, qui cache en son sommet l'église de Kebran Gabriel. Après 10 minutes de marche dans une forêt épaisse, deux phonolithes et une cloche de bronze annoncent l'arrivée à l'église-monastère dédiée à saint Gabriel. Selon la légende, son fondateur serait l'Abouna Za Yohannes, originaire du Choa. Un jour, alors qu'il venait de Gondar, il fut surpris par la nuit et fut accueilli dans une paillote dont le propriétaire était un pauvre pêcheur. Quand le saint rentra dans la maison, la pauvre hutte se remplit par miracle de nourriture. Les filets eux aussi se remplirent de poissons alors que les autres jours, la pêche avait été maigre. Le matin venu, le saint demanda au pêcheur le nom de l'île qui se trouvait en face du rivage et voulut la visiter. Ils partirent avec une pirogue en papyrus mais soudainement le saint quitta la pirogue et, à la grande frayeur du pêcheur, atteignit en quelques instants l'île en volant sur l'eau. La population de l'île vint à sa rencontre en lui racontant que l'île était habitée par un dieu alligator-serpent auquel elle devait rendre des sacrifices humains. L'Abouna Za Yohannes essaya de leur dire que leur Seigneur était Jésus-Christ. «Comment pourrions-nous le savoir?», s'exclamèrent les habitants de l'île. «Donne-nous une preuve que Jésus est notre Dieu ! ». Le saint tua alors le monstre en le touchant de sa croix. Il fit ensuite construire sur l'île une église pour les hommes et une autre pour les femmes sur l'îlot voisin, appelé aujourd'hui Enthos.
A la sortie du port de Bahar Dar, près de la rive orientale du lac, se trouve l'île de Debré Maryam. La légende raconte qu'à l'arrivée de l'Abouna Thadéwos, les eaux qui séparent l'île du rivage s'ouvrirent sous les pieds du saint, qui put ainsi trouver refuge ici où, par la volonté du Négus Amda Syôn Ier, fut érigée la première église dans la première moitié du 13e siècle. Reconstruite par Théodoros II dans la deuxième moitié du 19e siècle, elle fut habitée par de très nombreux moines.
C'est ici que l'empereur Iyasou le Grand réunit
en Concile en 1688 les dignitaires de l'Eglise et les plus importants moines du
pays, pour discuter du thème de l'union des Natures du Christ, problème qui
provoquait de fortes divisions dans le clergé éthiopien. Réduite à l'état d'une
pauvre paillote, l'église abrite aujourd'hui encore un petit trésor, un tétra
évangile manuscrit et illustré datant du temps de Fasilades, un autre
évangéliaire datant de la fin du 14e siècle, ainsi que quelques
cloches, croix et divers panneaux peints.
Source : Ethiopie : Au fabuleux pays du Prêtre Jean, Edition 2003