Ethiopie: Quelle issue après une année noire ?
Reporters sans
frontières appelle le gouvernement éthiopien à amnistier les
prisonniers d'opinion, notamment les 21 journalistes actuellement
détenus dans le pays, et formule des recommandations pour sortir de la
crise dans laquelle le pays est plongé depuis un an.
Un an après
les élections législatives du 15 mai 2005 qui ont plongé le pays dans
la crise et emporté une partie de la presse indépendante, Reporters
sans frontières appelle le Premier ministre éthiopien à amnistier les
prisonniers d'opinion, notamment les 21 journalistes actuellement
détenus dans le pays et dont certains encourent la peine de mort.
Dans
une lettre adressée le 12 mai à Meles Zenawi, Reporters sans frontières
a proposé l'organisation d'une "conférence nationale de
réconciliation", avec pour objectif de "rétablir le dialogue entre le
gouvernement et les journalistes, de lister les problèmes existants
dans l'accès et le traitement de l'information, d'imaginer des
mécanismes de régulation des médias et d'établir un code de conduite
commun des autorités, de la presse publique et de la presse privée
éthiopienne".
Reporters sans frontières se dit prête à "participer activement" à une telle conférence.
"Quelle
que soit l'option que vous choisirez, une sortie de crise est
indispensable pour que l'Ethiopie puisse de nouveau être gouvernée
sereinement, a écrit l'organisation. Les journalistes aujourd'hui
incarcérés, qui ont exprimé leur désarroi et leur volonté d'apaisement
depuis leur prison de Kaliti, ont tendu la main à votre gouvernement.
Cette
sortie de crise, à nos yeux, ne peut donc que passer par une amnistie
générale des prisonniers d'opinion et l'ouverture d'un dialogue
national, franc et pragmatique, permettant qu'un tel gâchis ne se
reproduise pas. Le grand procès politique qui se déroule actuellement à
Addis-Abéba, sur la base de chefs d'accusation vagues, voire
extravagants, ne fait qu'aggraver la crise. Il fragilise la stabilité
de votre pays, situé dans une région extrêmement volatile du continent
africain. C'est pourquoi, même si nous connaissons la position
déterminée de votre gouvernement, nous vous demandons de prendre en
considération notre proposition."
Le dimanche 15 mai 2005, les
électeurs éthiopiens étaient appelés à renouveler leur parlement pour
la troisième fois depuis la chute de la dictature de Mengistu Haïlé
Mariam en 1991. Toutefois, les précédents scrutins ayant été boycottés
par l'opposition, les élections législatives de 2005 étaient vues comme
la première consultation électorale multipartite du pays et avaient
suscité l'espoir de la classe politique éthiopienne comme de la
communauté internationale. Mais ce scrutin s'est révélé désastreux. La
principale coalition d'opposition, la Coalition pour l'unité et la
démocratie (CUD, Kinijit en amharique), a dénoncé des fraudes et
organisé des manifestations de protestation, soutenue par une partie de
la presse indépendante paraissant dans la capitale. Dans le courant du
mois de juin, une dizaine d'arrestations étaient intervenues dans les
rangs de la presse indépendante. La situation s'était quelque peu
apaisée jusqu'à la proclamation définitive des résultats. A partir du
1er novembre, la police éthiopienne avait violemment réprimé de
nouveaux rassemblements organisés à Addis-Abéba et dans plusieurs
villes de province. La CUD a affirmé que le parti de M.
Meles,
l'Ethiopian People's Revolutionary Democratic Front (EPRDF), avait
truqué le décompte des voix et estimait que le scrutin avait été
"volé". Lors des affrontements avec l'armée, 48 personnes avaient été
tuées et 200 autres blessées. Au moins 11 000 personnes avaient été
interpellées pour des périodes plus ou moins longues.
En
novembre et décembre 2005, quatorze directeurs de journaux ou
rédacteurs en chef de la presse indépendante ont été raflés. Il s'agit
de : Eskinder Nega Fanta, 37 ans, membre de la CUD et journaliste des
hebdomadaires Asqual, Menelik et Satenaw, ainsi que son épouse
enceinte, Serkalem Fassil Woldeselassie, 30 ans, propriétaire et
directrice de publication des trois hebdomadaires ; Fassil Yenealem
Agenehu, 31 ans, propriétaire et directeur de publication de
l'hebdomadaire Addis Zena ; Wosonseged Gebrekidan Tegene, 36 ans,
rédacteur en chef d'Addis Zena ; Sisay Agena Gole, 35 ans, propriétaire
et directeur de publication de l'hebdomadaire Ethiop ; Andualem Ayele
Legesse, 31 ans, rédacteur en chef d'Ethiop ; Wonakseged Zeleke
Tessema, 23 ans, rédacteur en chef d'Asqual ; Dereje Abtewold Yimanu,
31 ans, rédacteur en chef adjoint de Menelik et de l'hebdomadaire
Netsanet ; Nardos Meaza Gebrehanna, 41 ans, rédacteur en chef de
Satenaw ; Dawit Fassil Woldeselassie, 24 ans, rédacteur en chef adjoint
de Satenaw ; Zakarias Tesfaye Hargu, 29 ans, propriétaire et directeur
de publication de Netsanet ; Mesfin Tesfaye Gobena, 31 ans, rédacteur
en chef de l'hebdomadaire Abay ; Dawit Kebede Bahata, 25 ans, rédacteur
en chef de l'hebdomadaire Hadar ; Feleke Tibebu Abraham, 40 ans,
rédacteur en chef adjoint de Hadar.
A partir de décembre 2005,
d'autres journalistes ont été arrêtés et condamnés pour des affaires de
diffamation. Getachew Simie, journaliste de l'hebdomadaire Addis Admas
et ancien rédacteur en chef de l'hebdomadaire aujourd'hui disparu
Agere, Leykun Engeda, ancien rédacteur en chef de l'hebdomadaire
disparu Dagim Wonchif, Abraham Gebrekidan, rédacteur en chef de
l'hebdomadaire disparu Politika, Wosonseged Gebrekidan, rédacteur en
chef d'Addis Zena et ancien rédacteur en chef d'Ethiop, et Abraham Reta
Alemu, rédacteur en chef de l'hebdomadaire Ruh, ont été condamnés à des
peines de trois à dix-huit mois de prison pour des affaires datant de
1998 ou 1999. Leykun Engeda, Abraham Gebrekidan, Wosonseged Gebrekidan
et Abraham Reta sont toujours en détention.
Depuis le 1er
janvier 2006, deux autres journalistes sont venus s'ajouter aux
"prisonniers de novembre". Solomon Aregawi, journaliste de Hadar,
arrêté en novembre 2005, a été inculpé le 21 mars 2006 d'"outrage à la
Constitution" et de "génocide", en compagnie de 32 autres prisonniers,
membres avérés ou supposés de la CUD. Arrêté le 19 février, Goshu
Moges, de l'hebdomadaire Lisane Hezeb, a été inculpé de "trahison" le
19 avril.
Un certain nombre d'autres journalistes, membres de
l'opposition ou d'associations, ont été inculpés alors qu'ils se
trouvaient hors du territoire éthiopien et sont jugés in absentia.
Dans
son courrier, Reporters sans frontières a également appelé une fois de
plus à la libération de Shiferraw Insermu et Dhabassa Wakjira, deux
journalistes du service oromo de la chaîne de télévision publique ETV,
détenus depuis avril 2004. Selon le témoignage d'un ancien collègue des
deux journalistes, aujourd'hui en exil, ils ont été interpellés le 22
avril 2004, en compagnie d'autres employés oromos de ETV aujourd'hui
libérés, suite à la violente répression d'une manifestation d'étudiants
oromos sur le campus de l'université d'Addis-Abéba, le 4 janvier 2004.
L'intervention
des forces de l'ordre avait donné lieu à des brutalités policières et à
de nombreuses arrestations, notamment de membres de l'Association
d'aide sociale Macha Tulama qui protestaient contre la décision du
gouvernement éthiopien de déménager les institutions de la région oromo
d'Addis-Abéba (appelée Finfinne par les Oromos) à Adama (également
connue sous le nom de Nazret, à 100 km à l'est de la capitale). Les
deux journalistes sont accusés d'avoir été des informateurs du
mouvement séparatiste Oromo Liberation Front (OLF).
Source : allAfrica.com, 12 mai 2006